A travers nos différentes expériences culturelles au Canada, nous avons eu l’occasion d’en apprendre un peu plus sur les peuples autochtones. D’après l’encyclopédie canadienne, « Au Canada, le terme « peuples autochtones » réfère aux Premières Nations, aux Métis (mélanges d’ancêtres européens et autochtones) et aux Inuits (habitant principalement dans les régions au nord du Canada). Ce sont les habitants originaux du territoire qu’est aujourd’hui le Canada. » La colonisation des Amériques par les européens a directement menacé ces peuples, victimes d’assimilation forcée, avec l’interdiction de pratiquer leurs religions et leurs coutumes. Les enfants étaient arrachés à leur famille et envoyés dans des pensionnats où ils étaient scolarisés et évangélisés afin de « tuer l’indien » qui était en eux. Aujourd’hui, les peuples autochtones représentent un peu moins de 5% de la population nationale. Ils ont survécu à cette sombre période de leur histoire mais souffrent encore de graves séquelles : pauvreté, exclusion sociale, chômage, dépendance aux drogues, taux de suicide élevé etc. Malgré tout, la culture autochtone continue de prospérer grâce à un processus de résilience, basé sur le devoir de mémoire et le maintien des traditions.
Tout ce que nous avions découvert jusqu’alors nous avait donné envie de nous immerger encore plus dans la culture autochtone, en allant voir un Pow-wow, tradition incontournable encore largement pratiquée ici. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à Kahnawake à la mi-juillet, à l’occasion du festival annuel de Pow-wow, « Echoes of a Proud Nation ».
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un « Pow-wow » (à part un groupe musical français qui chantait « moi vouloir être chat » dans les années 90)? A l’origine, un Pow-wow est une cérémonie nord-amérindienne au cours de laquelle les peuples des premières nations se réunissaient pour danser et chanter, en vue de célébrer un événement : l’arrivée du printemps, un exploit guerrier, une chasse fructueuse, une guérison miraculeuse etc. A cette occasion, plusieurs tribus pouvaient se réunir, enterrant ainsi « la hache de guerre », pour faire du troc, lier de nouvelles amitiés ou réfléchir à de nouvelles alliances stratégiques. Ces cérémonies avaient un caractère sacré et se déroulaient selon un protocole précis. Les participants étaient vêtus de vêtements d’apparat, appelés regalia, qu’ils avaient généralement confectionnés eux-mêmes ou avec l’aide de leur famille. Les couleurs, les matières et les « accessoires » composant ces regalia étaient choisis pour leur symbolique, en fonction de l’histoire que voulaient transmettre les danseurs qui les portaient : coiffes en plumes d’aigle, médaillons perlés, rubans colorés, bracelets ornés de griffes d’ours, mocassins de cuir etc.
Quand les colons ont commencé à vouloir prendre le contrôle sur les peuples autochtones, ils se sont sentis menacés par les Pow-wow. Ils considéraient ces cérémonies comme des danses de guerre au cours desquelles les peuples autochtones pouvaient pleinement affirmer leur identité…Pas idéal, en plein processus d’assimilation! Les Pow-wow et toute forme de cérémonies religieuses ont donc été interdits pendant des décennies au Canada (notamment par l’amendement de 1880 à la Loi sur les Indiens) et aux Etats-Unis. Face à cette sévère répression, les leaders autochtones ont tenté de négocier la reprise des Pow-wow auprès du gouvernement canadien, en promettant de les exécuter de manière « allégée ». Leur demande a été acceptée et même peu à peu encouragée car ces danses attiraient de nombreux touristes dans les réserves, ce qui était bon pour les affaires! C’est ainsi que les compétitions de danse ont commencé. Les non-autochtones qui géraient les réserves payaient les participants en ration de nourriture ou en argent, et les meilleurs danseurs remportaient des prix. Malheureusement, de nouvelles lois canadiennes, votées en 1914 et 1925, ont rétabli l’interdiction des danses et des Pow-wow. Leur pratique a toutefois été poursuivie en secret, ce qui a permis de sauvegarder cette tradition. Finalement, à la fin de la seconde guerre mondiale, des vétérans d’origine amérindienne ont réussi à négocier la révision de la loi. Ainsi, en 1951, la pratique des Pow-wow est redevenue légale au Canada (contre 1934 aux Etats-Unis).
Les Pow-wow contemporains consistent toujours en des compétitions de danse mais pas seulement. Ce sont également des événements festifs à part entière, où l’on peut également trouver de l’artisanat autochtone et découvrir la cuisine amérindienne. Ils ont lieu chaque été dans différentes réserves nord-américaines, généralement en fin de semaine et selon un calendrier précis, si bien qu’il est possible de suivre Le circuit des Pow-wow. Ce sont des événements organisés par des autochtones du Canada et des Etats-Unis, auxquels les autochtones et non-autochtones sont invités à se joindre, sans distinction. La curiosité des non-autochtones n’est pas mal vue, bien au contraire, car les peuples amérindiens sont fiers de faire découvrir leurs traditions. Finalement, bien que le Pow-wow d’aujourd’hui soit un peu différent de sa version d’origine, c’est sans conteste un excellent moyen pour le peuple autochtone de préserver son héritage culturel.
Fermons cette longue parenthèse « historico-culturelle » pour en revenir à notre festival de Pow-wow. Samedi 13 juillet : nous arrivons à Kahnawake, une réserve indienne située à 20 km au Sud de Montréal. Il s’agit d’une réserve de Mohawks, une des six nations du peuple Iroquois. Le festival de Pow-wow se déroule sur deux jours. Il y a déjà beaucoup de monde sur place, malgré une chaleur écrasante. Nous arrivons juste à temps pour assister à la cérémonie d’ouverture.
L’événement a lieu dans une arène extérieure. Cette scène sacrée en forme de cercle symbolise le cycle de la vie. La cérémonie de la Grande Entrée débute au son des tambours et des chants, par une procession qui porte l’Eagle staff, l’équivalent du drapeau officiel des peuples autochtones, constitué par un bâton sacré surmonté de plumes. Les porteurs de staff sont suivis par des porteurs de drapeaux, puis par des vétérans, des meneurs de danse et enfin par l’ensemble des danseurs participants, tout âge confondu. Ils tournent ainsi dans l’arène, jusqu’à ce que tout le monde soit réuni à l’intérieur du cercle. C’est un moment particulièrement beau et émouvant, encensé par la voix éplorée des chanteurs. Ces derniers entonnent ensuite un premier chant en l’honneur des drapeaux puis un second dédié aux vétérans. La cérémonie d’ouverture s’achève par une prière, pendant laquelle il est interdit au public de filmer ou de prendre des photos. Ensuite, une danse intertribale est exécutée, puis la compétition de danse peut commencer.
Un annonceur anime la compétition, en anglais. Avant chaque compétition, il appelle les danseurs en indiquant la catégorie concernée (sexe, âge, type de Pow-wow). Les danseurs s’installent dans l’arène. Dès que les voix des chanteurs et des tambours résonnent, ils exécutent en rythme les mouvements qu’ils ont inventés, sans discontinuer, jusqu’à ce que la musique s’arrête. Ensuite, les danseurs se mettent en ligne pour être notés par les juges. Ces derniers les évaluent à la fois sur la qualité de leur danse, leur endurance et l’élégance de leur regalia. Aucun vainqueur n’est désigné; les résultats ne seront dévoilés que le lendemain, à la fin du festival.
Les compétitions s’enchaînent mais ne se ressemblent pas. Nous voyons passer des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes et des tout-petits. Il doit y avoir plus de 70 ans d’écart entre les plus jeunes compétiteurs et les aînés!
Les danses des hommes évoquent généralement la traque d’un animal ou un récit de guerre. Leur regalia sont particulièrement fascinantes et imposantes, tout comme leur maquillage facial. Le soleil de plomb les fait ruisseler de sueur mais ne les détourne en aucune façon de leur objectif. Les danses des femmes, plus gracieuses, sont liées à leur rôle au sein du foyer ou à la maternité. Quant aux enfants, leur application est stupéfiante. Bien que certains soient hauts comme trois pommes, ils donnent l’impression d’avoir dansé toute leur vie au rythme des tambours. Au cours d’une compétition, un jeune garçon danse seul car son seul rival a déclaré forfait avant même le début de la musique. Son jeu dans l’arène est incroyable. Il saute, s’accroupit, tourne sur lui-même, nous raconte toute une histoire à travers ses mouvements. Le rythme croissant des tambours ne l’effraie pas et ses pieds ne s’arrêtent plus de décoller du sol. Son visage rayonnant et son sourire espiègle prouvent qu’il prend du plaisir à danser. Il est tellement acclamé par le public qu’il propose de présenter une troisième et dernière danse. Entre deux compétitions, en milieu de journée, l’annonceur invite l’ensemble des spectateurs à entrer dans l’arène, afin que tout le monde puisse danser ensemble, le temps d’un chant (nous sommes restés spectateurs).
Les regalia confectionnées par les danseurs sont très variées. Certains participants sont restés sur des matières traditionnelles, comme le cuir ou la fourrure, mais d’autres n’ont pas hésité à se revêtir de paillettes dorées ou argentées, signe que l’on peut perpétrer la tradition tout en la faisant évoluer.
Les différents groupes de chanteurs se relaient, en fonction des catégories de compétition. Ce sont majoritairement des hommes. Ils sont généralement trois ou quatre, assis autour d’un même tambour sur lequel ils frappent à l’unisson. S’il y a une femme dans le groupe, alors celle-ci chante debout, à côté d’eux.
Au cours de la journée, nous faisons une pause pour déjeuner et échapper au soleil qui cogne sur les tribunes du public. Différents kiosques proposent majoritairement de la cuisine amérindienne : des épis de maïs, des galettes de maïs (tacos), de la viande de bison, des salades de haricots rouges, du pain frit etc. Nous nous laissons tenter par un burger de bison, une salade de riz sauvage et quelques tranches de pastèque bien rafraîchissantes. D’autres kiosques un peu moins traditionnels proposent inévitablement de la poutine, des frites ou encore de la citronnade directement servie dans des seaux de plage!
Avant de partir, nous faisons un tour par le marché d’artisanat autochtone, où nous trouvons quelques objets plus insolites que d’autres…
Nous avons été fascinés par la tradition du Pow-wow, tant pour la qualité des danses, la beauté des chants ou la splendeur des regalia. Notre seul regret par rapport à cette expérience est de ne pas avoir pu déchiffrer les symboliques cachées derrière un protocole, un mouvement de danse, un objet choisi pour orner un vêtement. Quoi qu’il en soit, nous avons été touchés par cet événement auquel la fierté des peuples autochtones se mêlait au respect et à l’ouverture d’esprit des non-autochtones.
Pour terminer cet article interminable de culture et confiture, vous trouverez en images le résumé de nos précédentes découvertes de la culture autochtone.
Exposition permanente « Porter son identité » au Musée McCord (Montréal)
Salle des Premiers Peuples, au Musée Canadien de l’Histoire (Ottawa)
Reconstitution d’une maison longue, au site de la Nouvelle France (Lac Saint-Jean)
Exposition « Regalia » au Centre des Sciences (Montréal)